SALUT L’ARTISTE!

Par défaut

Michel QUEYRAUD nous a quitté samedi 25 juillet 2021.

La cérémonie d’adieux s’est déroulée le Mardi 3 aout, au crématorium de BIGANOS, en présence de sa famille et des ses ami.e.s proches.

Au nom de RésoA+, j’ai eu l’honneur de prononcer quelques mots. Comme dernier hommage, j’ai choisi un extrait du Sixième des Entretiens de Violet Le Duc. Paris 1863*

Il est des temps où l’homme a besoin de l’élément barbare comme la terre a besoin de fumier, … car il faut qu’il s’établisse dans le cerveau humain, pour produire quelque chose, une fermentation morale, résultat des contrastes, des dissemblances, d’un défaut de niveau entre la réalité et ce que l’esprit conçoit. 

Les époques les plus fertiles en travaux de l’esprit sont les époques les plus agitées (…), celles qui fournissent à l’observateur le plus de contrastes. 

Si une société  parvient à un degré de civilisation avancé, où tout est pondéré, prévu, coordonné, il s’établit un niveau général du bien, du bon, du convenable, qui peut rendre l’homme matériellement heureux, mais qui n’est pas fait pour exciter son intelligence. 

Aux arts, …  il faut le mouvement, la lutte, l’obstacle même; l’absence de mouvement dans l’ordre moral,    comme dans l’ordre physique, amène bientôt la cor-rup-tion

La société romaine, placée au centre de l’Occident, maîtresse absolue de tous les peuples connus, s’affaiblit et se corrompt ainsi     par le défaut de discussions et de contrastes. 
Les moeurs déclinent, les arts déclinent, par cette seule raison que tout ce qui ne se renouvelle pas en ce monde par le mouvement et l’appoint d’éléments étrangers,… périt. 

Il en est des idées comme des familles : il faut les croiser, si on ne veut pas les voir physiquement décliner. 

Que dira le poëte au milieu d’une société parfaitement réglée, gouvernée, policée, où chacun possède une même quantité d’idées de même nature sur chaque chose? 
L’excès, le contraste sont nécessaires au poëte.

Si un homme de coeur voit son pays envahi, s’il est témoin d’abus odieux , si sa conscience est opprimée, s’il souffre ou espère, si cet homme est poëte, …  sa verve s’anime malgré lui ; 
il écrit alors, il touche, il émeut ; 

mais s’il vit clans un monde élégant, tolérant, facile, où l’excès seul est considéré comme un manque de goût, que dira-t-il ? Il décrira les fleurs, les ruisseaux et les vertes prairies, ou, échauffant son esprit à froid, il se lancera dans le domaine du fantastique, du monstrueux, de l’impossible, ou encore il manifestera un vague désir, un dégoût sans cause, …. il exprimera des souffrances sans objet. 

Non ; le vrai poëte, fouillant profondément cette société si calme, si uniforme en apparence, ira chercher dans les coeurs des sentiments qui ne périssent jamais chez l’homme, où qu’il vive ; 

sous les vêtements semblables dont chacun se couvre, il trouvera des passions diverses, nobles ou basses, il rétablira à nos yeux ces contrastes que nous nous efforçons de faire disparaître, et, à ce prix seulement, il se fera écouter et lire. 

Plus la société est civilisée, policée, plus l’artiste est obligé d’analyser, de disséquer les passions, les moeurs, les goûts, de recourir aux principes, de les saisir et de les montrer nus, s’il prétend, au milieu de cette société uniforme et pâle à l’extérieur, laisser une trace profonde. 

Aussi est-il plus difficile d’être artiste dans des temps comme les nôtres qu’au milieu de gens rudes, grossiers, déployant hautement leurs passions bonnes ou mauvaises. 

Aux  époques primitives, le style s’impose à l’artiste ; aujourd’hui, c’est à l’artiste à retrouver le style.

(*) les paragraphes sur fond bleu n’ont pas été lu lors de l’allocution, par respect du temps imparti.